Quatrième partie du voyage du 8 juin au 10 juin 2011
Le 8 juin
Départ pour le temple à Somnathpur à une heure de Mysore. Le chauffeur de l’autocar est un acharné du klaxon. Il roule à une vitesse incroyable entre piétons, vélo, rickshaw, voitures et carrioles. Quel excité ! C’est un vrai danger public. Mais tous se poussent. Le temple est magnifique. Il a été achevé au XIII siècle, il est dédié à Vishnou.
Sculptures très détaillées telles de la dentelle. Très bien conservé. Finesse et délicatesse des statues. Il n’y a personne et j’en profite pour m’imprégner de l’énergie du lieu sacré. Il est en cours de rénovation d’ailleurs. Tant mieux. Agnès pense tout comme moi. Tout pareil. Elle me reproche de parler à la première personne. Donc le « je » vaut souvent le « nous ».
Petite parenthèse : à Mysore il y a une mosquée et donc une forte communauté musulmane. Toutes les femmes sont habillées en noir du bout des pieds jusqu’au visage. Enfin, comme chez nous sauf que là il fait bien plus chaud. Elles doivent étouffer sous ce long drap noir. Nous ne voyons que leurs yeux. C’est très austère. Et cela tranche avec les corps très féminins vêtus de sari vifs des indiennes. Ces femmes là sont magnifiques.
Leur étonnante chevelure et leurs beaux yeux noirs mis en valeur par un trait de jais me font penser à la splendeur des princesses des contes des mille et une nuits que j’adorais enfant. Tous les tissus sont représentés. Du simple coton à la soie. Selon leur moyen je pense. Dans les campagnes les hommes sont en habit traditionnel. (Dans les villes pas du tout).
Soit un tissu enroulé comme une jupe longue. Parfois remontée entre les jambes et attachée devant à la ceinture. C’est alors une culotte bouffante plus ou moins longue. Ils portent cependant une chemise.
Nous quittons Mysore au bout de trois jours. Ravies de quitter son tumulte. Direction Cochin et ses back waters. C’est encore un voyage de nuit par autocar. Mauvais plan on s’en doute, mais nous n’avons pas le choix car il n’y ni train ni avion en direction de Cochin. Je me prépare psychologiquement au parcours du combattant.
C’est encore et toujours l’aventure ! Agnès a eu la bonne idée de choisir les places derrière le chauffeur. Hum ! Hum ! Sa conduite est aussi rassurante que celle des autres. Si vous voyez ce que je veux dire. Sacré voyage ! Je vois tout de ma place. Impressionnant les risques qu’il peut prendre.
Nous traversons la jungle et la montagne à vive allure. Cela tourne et vire ! Dire que j’étais malade en voiture. Je suis au top maintenant. Agnès est au top comme d’habitude.
Sur la route, vers 20 h 30, le chauffeur s’arrête brusquement. Il y a un éléphant sous les arbres. Magnifiques défenses. Nous sommes dans la jungle. Ils vénèrent les éléphants et sont autant émerveillés que nous. Nous retrouvons nos yeux et notre âme d’enfant. Deuxième arrêt, deuxième éléphant. Tout le bus est en émoi.
Je pensais qu’il conduirait tout le trajet tout seul. Mais non, ils sont quand même à deux. Pause pipi dans une gare routière. Nous sommes « étranges » dans cet étrange univers d’hommes. Mais aucun danger ! Ils sont vraiment courtois ou indifférents. Nous sommes juste regardées curieusement. Il est minuit. Nous repartons.
Nous voilà bloqués cette fois face à un camion. A deux mètres de nous. Notre chauffeur a voulu doubler une rangée de camion immobilisée à la frontière du Kerala.
C’est gagné. Un camion surgit en face et nous ne pouvons plus ni avancer ni reculer. Ils restent là à s’observer un bon moment. Qui bougera ? Un vrai duel psychologique s’engage. Notre chauffeur décide de contourner la difficulté. C’est le cas de le dire. Nous passerons par le côté un peu trop boueux à mon goût. Je « pétoche ». Nous risquons de nous enliser ou de basculer. Au choix ! Enfin je l’imagine. Pas eux. Cela passe. Rien ne les arrête.
Nous sommes arrivées à 4 h à Cochin. Il fait nuit. La gare routière est sordide et tellement sale. Rickshaw !!! Il y en a toujours partout à toute heure. Nous prenons nos sacs à dos. Ils ont voyagé dans la soute à bagages et ils sont trempés. Je crains pour nos vêtements. Il a plu durant le trajet et la soute n’était pas étanche. Le sac mouillé sur le dos… Qui dégouline !!! Une sensation vraiment pas sympa à 4 h 00 du matin. « Welcome » à Cochin. Ambiance. Agnès explose de rire. Elle vient d’entendre craquer son siège. J’avoue que mon humour n’est pas au beau fixe à cette heure. Mais son rire est communicatif.
Petite parenthèse : Le chauffeur du car n’a pas arrêté de parler à son collègue, de cracher, etc. J’étais dégoûtée. Je me demandais où il crachait. Par la fenêtre ? À ses pieds ? Désolée du détail mais c’est du vécu. J’ai regretté mes boules « Quiès » au fond du sac à dos inaccessible au fond de la soute.
Donc, nous donnons au chauffeur du rickshaw une adresse d’un hôtel recommandé par une amie en France. Le « Sajhome » hôtel. Il a du mal à le trouver. Nous tournons et nous virons.
Il y a déjà du monde dans les rues et le chauffeur demande plusieurs fois son chemin. Cochin est très étendue avec ses trois îles reliées par des ponts. Enfin, il trouve l’hôtel. Nous réveillons le propriétaire qui nous annonce qu’il est fermé pour une semaine. Pas de chance. C’est ballot. Toujours pas envie de rire !!! Le chauffeur nous dépose ailleurs. Il connaît une bonne chambre d’hôte pas loin et toujours dans le vieux Cochin. Il est 5 h 45. L’hôtel est effectivement correct.
Ce sont les vêtements d’Agnès qui sont trempés. Elle n’a plus rien à se mettre et là, cela ne la fait pas rire ! Mon sac à dos a été plus protégé en fin de compte. Je n’ai eu que le premier effet « kisscool ». L’eau qui me dégoulinait tout à l’heure dans le dos était vraiment froide. Agnès étend son linge un peu partout dans la chambre. Il est au moins 6 heures quand nous nous couchons.
J’ai chassé de la salle de bain un énorme cafard. Pourvu qu’Agnès ne le voit pas ! Maintenant dodo.
Le 9 juin
Petit déjeuner. Trop bon. Nous faisons connaissance de notre hôte. Très accueillant. Nous sommes seules dans l’hôtel. Il nous soigne. C’est la paie du mois. Il nous concocte quelques visites et occupations (massage ayurvédique, théâtre et préparation de leur maquillage, « house-boat » et ferme des éléphants). De quoi oublier notre sinistre voyage.
Nous sommes à fort Cochin, le plus vieux quartier et son port de pêche typique avec ses immenses filets : les carrelets je crois. C’est un quartier chinois. Le temps est un peu capricieux : pluie torrentielle de quelques minutes mais globalement grand beau temps.
Le massage ayurvédique : tonique et très huileux. Petites mains agiles et précises. Du bout des cheveux jusqu’au bout des pieds, je suis baignée d’huile, frottée, étirée. La table en bois, incurvée, est prévue pour ce bain d’huile. Mouvements rapides et défatigants. Après un tel voyage, j’apprécie totalement.
Petite séance de hammam maison où seule ma tête sort d’un cube en bois. Je suis assise à l’intérieur sur un tabouret. Je me marre en pensant à mon Spa et tout son confort électronique. Je pense avec une petite pointe de nostalgie. Vite expédiée. Tout est bien. Vive le changement !
Je me dis que depuis le début de ce voyage « inorganisé », nous avons toujours trouvé les bonnes personnes au bon moment pour nous tirer d’affaire. Je lâche de plus en plus les « quoi et comment, et si… ».
Agnès retombe toujours sur ses pattes de toute manière. Tous les contretemps et mêmes les intempéries nous ont amené à vivre spontanément des situations pittoresques. (Sauf les trajets en bus et en train qui sont éprouvants). Mais là encore nous baignons dans la réalité des indiens.
Visite du port et de ses spectaculaires filets. Les vendeurs dans les boutiques se plaignent de ne pas avoir de touristes.
Le théâtre : trois comédiens qui se maquillent avec précision tout seul. C’est déjà du spectacle. Vert, rouge, jaune, noir et blanc. Chaque couleur a une signification. Le bien, le mal … Du bout des doigts, gestes envoûtants. Cela nous berce. Il est 18 h 00. Nous n’avons dormi que 5 heures cette nuit.
Nous sommes dans le calme. Un autre homme vient les aider à se grimer. Il s’assoit et peaufine le maquillage de l’acteur maintenant allongé. Il découpe du carton souple et blanc avec précision pour donner la touche finale au visage des personnages. Il les colle sur le visage. L’effet est saisissant.
On nous explique ensuite comment sont fabriqués les couleurs qui serviront aux maquillages. Mélange de pigment frotté sur une pierre enduite d’huile de coco. Les acteurs se couvrent ensuite le visage avec cette pâte colorée.
Nous patientons. Le maquillage prend du temps. Un autre homme rentre dans la salle et aidé de pochoirs et de sable fin, il laisse sur le sol le « Om », « Ganesh » (dieu éléphant) et des pieds. Il dessine d’une main sûre une fleur en faisant couler le sable entre ses doigts. Tout est sacré. Il allume des bougies sur la scène.
C’est l’histoire d’un héro qui va tuer le démon tant redouté. Nous sommes peu nombreux dans la salle. Seulement 7. Toute cette énergie pour si peu de monde. Spectacle incroyable. Haut en couleur, chant et musique. Leur gestuelle et leurs regards miment l’histoire. A couper le souffle.
Les costumes sont richement décorés. Leur maquillage expressif souligne leurs mimiques. Les yeux tournent et se froncent, les sourcils s’agitent, les mains dansent un langage d’un autre temps et les pieds frappent le sol au rythme de la musique endiablée. A la fin du spectacle, le narrateur/chanteur vient nous parler.
Il connait Lyon Saxe Gambetta où il est venu chanter. Sa voix dans le spectacle portait toute la vibration exceptionnelle de ce conte.
De retour à la chambre, oups ! Agnès vient de faire connaissance avec Monsieur le cafard qui est revenu nous rendre visite. Je gère la crise ! Mais ça va elle n’a pas tourné de l’œil. Au moins 4 cm. Belle bête !
Le 10 juin
Toute la côte ouest était colonisée par les portugais. Il y avait donc aussi une forte présence portugaise au Kerala. Tout ceci reste en traces. Il y a de nombreuses églises. Notre hôte est catholique. Le Kerala est un état communiste. Faucille et marteau sont représentés aux quatre coins de Cochin. Le Kerala n’est pas un état pauvre.
Enfin, pas comme ailleurs. Possibilité évidente de scolarisation et les filles y ont accès. Nous croisons des dizaines de jeunes en uniforme. Les filles ont les cheveux tressés en deux nattes bien sages.
Petite parenthèse : Il n’y a aucun feu de signalisation sur les routes. Un peu en ville mais ils ne sont pas respectés de toute manière. A Cochin, dans les quartiers récents, les motards portent un casque. Ailleurs et partout ailleurs, ils n’en portent pas.
A la maigreur des pauvres et des sans abris s’opposent les bourrelets et les bonnes joues des nantis. Tous les mannequins présentés sur les panneaux publicitaires géants sont rondouillards, surtout les hommes. Ils ont la peau claire.
En route pour les back waters. Ce sont des réseaux de canaux. Promenade qui aurait pu être calme. Une famille embarque et là tout s’enchaîne… Je confirme qu’un enfant capricieux de deux ou trois ans d’ici hurle aussi fort qu’un enfant capricieux de chez nous. Tee-shirt Mickey sur le dos, il nous a percé les tympans pendant un bon moment.
Cette famille est bruyante, bavarde et envahissante. On se demande ce qu’ils font avec nous. Leur présence contraste avec le paysage et l’ambiance paisible de cette eau peu profonde. Nous croisons un autre bateau. Eux, écoute de la musique. Pas de chance !!!
Les nénuphars sont rois. Il y a peu d’animaux. Quelques oiseaux s’envolent. Un héron ! Des chèvres, des canards, des oies… La vie des paysans pêcheurs sur les berges de cet immense réseau de canaux. Nous accostons. Une vieille femme tresse de la corde avec des fibres de noix de coco séchées. Rapide, efficace et solide.
Visage burinée, sans âge, des heures et des heures de tressage non stop aux bouts des doigts. Elle utilise ce que j’appellerai un fouet à la mode de chez eux.
L’enfant est apaisé. Nous profitons du paysage à travers la forêt de cocotiers. Végétation dense. Paysage lacustre. Territoire des moustiques.
Petite parenthèse : Tout n’est pas à idéaliser en Inde. Les transports, n’en parlons plus, j’ai suffisamment expliqué nos déboires… Il faut savoir qu’un indien des villes qui se respecte est bruyant.
Plus il a les moyens plus il est bruyant. Tv à fond, musique à fond dans les voitures, DVD à fond dans les cars. Sonneries de téléphone, Klaxons…Il faut savoir aussi que tout se jette par terre ou dans l’eau. Nous avons pourtant lu quelques panneaux (peu) avertissant de ne pas jeter les plastiques. Consignes évidemment non suivies. Le pire, c’est dans le train. Ils jettent par les fenêtres tout ce qui les encombre. Déchets divers et variés le long des voies ferrées.
A part cela, je savoure jour après jour ce voyage aux multiples facettes.
Dans ce bateau, nous sommes avec deux jeunes femmes d’environ 25 ans qui voyagent seules. Une suédoise et une allemande. Elles sont en Inde depuis 3 et 4 mois. Je suis admirative. J’aurai du mal à être seule aussi longtemps même dans ce pays aussi accueillant. Surtout l’envie et le besoin de communiquer et de partager avec une autre personne le vécu de la journée.
La suite du voyage : Contrastes et couleurs en Inde du sud cinquième partie